lundi 21 février 2011

LA BARQUE DU PONTON 40

Avec ces quelques années de plus qui ne sont pas encore suffisantes pour se sentir approcher de la cinquantaine, mais qui marquent déjà l’éloignement du ponton numéro quarante ; tout comme à l’instant où la main rapatrie le morceau de corde qui interdisait à la barque de s’éloigner de l’embarcadère, et qu’après un examen, pourtant bref et inconscient, de cette corde que l’on trouverait plutôt courte -constat sans conséquence et qui n’appelle aucune analyse particulière- on relève les yeux, la lente dérive de la barque semble alors, désormais libérée, et sans vraie perspective à laquelle se raccrocher, inquiétante de rapidité.
D’Arcy n’a pas peur de la mort ; peut-être attend t’il de cette assurance un effet placebo. Ce qu’il redoute par-dessus tout, c’est d’avoir atteint le ponton quarante sans douter de l’atteindre, et de le voir s’éloigner déjà sur des eaux incertaines où nombreux et inattendus sont les naufrages, qu’il s’agisse d’une défaillance du corps, cardiaque ou rupture d’anévrisme, d’une attaque contre son corps, cancer ou autre cadeau empoisonné, ou banal et pire, d’une rencontre mal inspirée avec une barque en contre-sens. D'Arcy ne s'inquiète pas de devoir partir, il veut néanmoins s'être comblé l'esprit de manière qualitativement suffisante avant de le faire. Et il lui apparaît comme une évidence qu'il ne peut-être que le seul à se forcer à le faire au moment où l'évidence du départ sera mise en évidence.
D’Arcy entend couler au bon moment, et celui-ci saura s’indiquer à coup sûr, car D’Arcy a toujours un œil sur les signes potentiels -aujourd’hui inexistants- et annonciateurs de son apparition. D’Arcy a encore faim de sa vie, mais n’ambitionne pas de s’en laisser dicter la fin par l’horloge biologique du vieillissement. D’Arcy respirera tant qu’il saura remplir les trois conditions suivantes : la première, que ce que lui apporte son esprit supplante la dégénérescence de son corps ; la seconde, qu’il sache trouver des aliments comestibles pour son esprit, le tout en remplissant la condition troisième de trouver encore enrichissant de s'enrichir l'esprit.
Pourtant, D'Arcy est également prêt à couler de manière impromptue, si tel en décidait une variation cancéreuse de l'un de ses organes; prêt à partir à une seule condition, la condition zéro, condition dont le contenu se dévoilera une autre fois.
La tâche quotidienne que s’est fixée D’Arcy est donc finalement assez simple en soi: flotter sur l’eau, sans ramer, en s’imaginant voguer sur une toute autre étendue d’eau, les yeux mi-clos. Il aimerait bien les fermer, mais d’autres barques environnantes se doivent encore d’être surveillées et guidées pour certaines, ménagées pour d’autres, épargnées pour d’autres encore…

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