mardi 27 décembre 2011

MARQUISE JOSETTE DE MARESCHES

Du fond de la banquette, la femme attend, longuement, impatiente de se faire ouvrir la porte, désireuse de se laisser piéger par la froideur du temps.
Le voyage, se persuada-t-elle, fut long, ennuyeux, infini, du fait d’un fiacre miteux répétant sans cesse les boucles d’un éternel lacet, donnant aux plaines environnantes l’image d’un corsage imaginaire tendrement poser sur une peau entaillée.

Sa tête lui parait sortir tout droit du royaume des songes. Ses membres, quant à eux, semblent résister à l’appel de l’évidence, comme tentant de nier leur existence propre, persistant dans un domaine inconnu d’apesanteur, de chimères, de légèreté, d’inconscience. « Le froid, pensa-t-elle, seul le froid réveillera ces appendices difformes dont je ne sais que faire. »
De sa main droite, gantée d’une dentelle ivoire ajourée de larges pâquerettes, révélant à la vue une peau blanche, écaillée, et dans une lenteur lunaire, elle écarte poussivement le rideau jaunie de l’unique fenêtre du fiacre, et patiente, tentant de contempler une bâtisse tant contée, plissant délicatement les yeux pour affiner sa vue. Ne parvenant pas à percer l’épais rideau de brume, elle repousse sa pince de chair, laisse retomber le voilage, assombrissant de nouveau l’habitacle.

Soudain, des pas se font entendre dans l’allée du château. Brusquement, la porte s’ouvre dans un étrange grincement, figeant la vue, l’ouïe, le temps. Il semble qu’un extravaguant ballet de froides entités attire la femme au dehors, l’invite à poser pied sur le succinct chemin de pierres brunes, unique repère de cette ténébreuse crypte. Promptement, une main crasseuse apparaît dans ce cocon de bois, tendue vers la femme qui ne s’oppose pas à la prendre. De cet opaque brouillard blanchâtre, posant les pieds sur la marche puis sur le sol glacé, se dévoile une silhouette toute de rouge vêtue, tenant de sa main droite perlée le mince bras squelettique de Furtus. La porte se referme, sans que quiconque n’ait initié le mouvement. Le cheval, au dehors, expire de ses narines élargies un large panache de vapeur. La marche débute.

Au pied de la porte de la demeure, Furtus tire délicatement la liaison, faisant tintinnabuler une timide cloche. Quelques secondes plus tard, la porte de bois s’ouvre sur la femme, révélant la lumière et la chaleur d’un enfer à présent convoité.

« A qui ai-je l’honneur ? », s’interroge le grand homme, mélancoliquement vêtu.
« A Madame Rose, Monsieur », rétorque faiblement le cocher.
« Et bien, Madame, entrez… ».

La femme entre, suivi du cocher. La porte se referme. Les ténèbres tombent de nouveau sur le parc, figeant le temps dans une noirceur moite et lugubre.

- - - - -

Comte,

La réponse de Madame Rose, fournie (ci-dessus) hier soir, fut une réponse hâtive de sa part, fruit d’une euphorie résultant d’un jour de fête en famille.
Cependant, en ce matin couvert, Madame Rose a contacté son cocher, à l’aide d’un petit message glissé à la patte d’un volatile fort bien éduqué. Se rendant compte de la fatigue qui accompagnait un lendemain de Noël, son voyage du 31 est décommandé.

Furtus arrivera donc au château, le fiacre vide, la porte ouverte sur le vide d’un soir.

Furtus (Etienne) 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire