samedi 19 mars 2011

DATE DE NAISSANCE

D’Arcy sent ses doigts qui tremblent, ce matin. La vibration de ses carpes, de ses phalanges, de ces petits univers délicats faits d’osselets et de chair ne résulte pas d’une quelconque dépressurisation crânienne ; la température est juste un peu froide dans la bibliothèque, un fait très commun -donc habituel- à ce long tapis de jours déroulé sur la Sibérie temporelle reliant octobre à mai. Les mains de D’Arcy ne lui semblent pas vieillir ; il les regarde comme son frère regardait les siennes, mais sans l’inquiétude de ce dernier pour les marques d’usure qu’y creusait le temps. D’Arcy l’imagine parfois, assis dans son Voltaire, les yeux portés sur ses mains, d’un simple regard regardant, figé puis s’évanouissant dans l’interstice qui s’autorise furtivement entre le constat et sa formulation. D’Arcy, livre en main, relit cette phrase hasardée par Mishima un soir de cette semaine avant qu’il ne trouve le sommeil : « …en passant sous les becs de gaz de Toriizaka, il étendit les mains à la lumière. Il fut frappé de voir la pâleur de leur dos, car il se rappelait avoir naguère entendu dire que les malades qui vont mourir ne cessent de regarder leurs mains… »

D’Arcy cherchait sa date de naissance, ce matin. Parmi toutes ces photos mentales qui dérivent à la surface stagnante des marécages du passé, attendant d’être appelées pour venir ternir un peu plus le quotidien, D’Arcy s’est revu, pleurant dans les toilettes d’un restaurant d’une chaîne de restaurants, près d’Annecy, lors d’un quelconque repas pris à midi avec un troupeau de collègues. Quelques mois après le départ de son frère, en rentrant dans ce restaurant, la chanson diffusée pour l’accueillir lui parla d’un autre monde… oui, lui conseillant de rêver d’un notre monde, oui … mais… la terre est bien ronde… et la lune est si blonde…

Il est fort probable que D’Arcy naquit dans les toilettes d’un restaurant dans la violente rencontre de deux mondes, celui en contraction de son frère, et le sien, en question. D’Arcy s'est façonné des résidus propulsés dans l'espace sans gravitation d'après carambolage, gigantesque et immobile dans le vide du temps et de l’espace; artiste et son modèle à la fois, il prend entre ses doigts les météorites résiduelles, recomposées, éparpillées et migrantes autour de lui pour les sculpter en forme de cubes comme ceux de ces jeux anciens proposant plusieurs paysages à reconstituer.

Il y a plusieurs années de cela.

Ses paysages préférés seront évoqués. Une autre fois.
Disons que, comme disait Sartre en évoquant Baudelaire… « il est mort dès 1846. Ensuite il s’est survécu… il a choisi d’avancer à reculons, tourné vers le passé, accroupi au fond de la voiture qui l’emporte et fixant son regard sur la route qui fuit… »

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